La Fesci, le syndicat étudiant qui fait la loi dans les universités ivoiriennes

  • publiè le : 2023-04-12 10:19:23
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La Fesci, le syndicat étudiant qui fait la loi dans les universités ivoiriennes
« Côte d'Ivoire, qu'as-tu fait de ton université ? » (1/4). Fondée en 1990, la toute-puissante fédération estudiantine peine à se défaire de sa réputation de violence.

C'est une tradition surprenante sur le campus de l'université Félix-Houphouët-Boigny, à Abidjan. Chaque matin et chaque soir, des groupes d'étudiants de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d'Ivoire (Fesci), le plus gros syndicat étudiant du pays, affichent leur présence en chantant et en marchant en rang d'un pas presque militaire. Certains sont tout de noir vêtus, d'autres portent des habits traditionnels.

Ce mercredi 5 avril, ils s'activent devant les amphithéâtres et les salles de classe pour annoncer fièrement la tenue de leur assemblée générale. Dans l'après-midi, plus de 2 000 étudiants assisteront à la suspension du bureau exécutif ainsi qu'à des sanctions disciplinaires à l'encontre de certains responsables. « Ces derniers temps, il y avait trop de violences entre plusieurs sections de la Fesci. On va nommer de nouveaux chefs de section pour apaiser les tensions », explique Allah Saint-Clair, secrétaire général de la Fesci, surnommé « Général Makélélé » en référence à l'ancien footballeur français. « Un joueur qui avait du coeur », assure celui qui a pour devise : « Zéro violence pour la promotion de l'excellence ».


Pourtant, même si « la violence a baissé à un niveau respectable », promet-il, les universités d'Abidjan ne sont pas épargnées par les coups de sang de certains membres du syndicat étudiant. Le 9 mars, l'Association des élèves et étudiants musulmans de Côte d'Ivoire (AEEMCI) a ainsi accusé la Fesci de « bastonnade » à l'encontre de ses membres à l'université Nangui-Abrogoua d'Abidjan, faisant dix blessés graves transférés d'urgence à l'Hôpital militaire et un porté disparu. Quelques jours plus tard, des membres de la Fesci ont interrompu de manière autoritaire l'investiture du bureau de l'Association des étudiants en communication (Adescom). « Ils nous reprochent de ne pas leur avoir donné la parole », a expliqué Vessaly Traoré, le président de l'association. « S'ils n'apprécient pas une personnalité ou si la conférence ne leur plaît pas, ils bloquent tout », constatent plusieurs universitaires.

Contrairement aux promesses de ses dirigeants, les témoignages recueillis auprès de professeurs et d'étudiants d'hier et d'aujourd'hui montrent que les violences, les rackets et les intimidations commises par les membres de la Fesci ont lieu « toutes les semaines » sur les campus universitaires du pays où le syndicat est admis. « A l'université, ce sont les étudiants de la Fesci qui gouvernent », assure un professeur, ancien membre du syndicat, qui préfère garder l'anonymat.

« Nous avons une capacité de nuisance »
« Si tu veux avoir un logement, ce sera plus simple si tu adhères à la Fesci. Si tu refuses d'y adhérer, ils peuvent venir te bastonner ou t'intimider avec des armes blanches », explique un étudiant en licence, menacé la veille par quelques « camarades » se revendiquant du syndicat. « Ce sont des actes isolés, on ne peut pas tous les contrôler », assure-t-on du côté de la Fesci, qui estime que certains abusent parfois de leur « petit pouvoir ». Malgré les intimidations, le jeune homme menacé a refusé de rejoindre « cette secte » pour ne pas « gâter son nom » (écorner son image) et participer à cette violence systémique.


Des critiques que « Makélélé », élu en 2019 puis réélu en 2021, ne supporte plus. Le « Général », salué par ses membres main sur le front, tel un haut gradé, assume les marches militaires « pour ne pas se laisser intimider par la police et dire aux gouvernants que nous avons une capacité de nuisance ». Il énumère les combats remportés pour une meilleure vie estudiantine : « La bancarisation des bourses, la suppression des cotisations exceptionnelles payées par les parents d'élèves... Nous avons fait beaucoup de choses pour les étudiants mais beaucoup caricaturent la Fesci, et en ont une image liée aux évènements passés. »

Car la violence est au coeur du syndicat depuis son origine. D'abord clandestine, la fédération fondée par Martial Joseph Ahipeaud en 1990 s'inscrit dans les pas du Front populaire ivoirien (FPI, de Laurent Gbagbo), le premier parti d'opposition à avoir osé affronter le Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI, du président Félix Houphouët-Boigny). Considérée par l'ex-parti unique comme un instrument du FPI, la Fesci joue un rôle important dans l'organisation des manifestations contre le pouvoir et la mobilisation des protestataires. Après la mort du « Vieux », fin 1993, le syndicat se mobilise sur les conditions de vie des étudiants et s'impose à coups de grèves et de boycotts dans le paysage sociopolitique du pays. Les arrestations à répétition de son secrétaire général Charles Blé Goudé deviennent un symbole du militantisme étudiant.

Plusieurs de ses dirigeants connaissent un destin politique, à l'image de Guillaume Soro, devenu premier ministre en 2007

Mais lors de la transition militaire de 2000, une guerre de leadership, sanglante au point qu'on la surnomme « la guerre des machettes », éclate entre deux factions rivales de la Fesci. C'est finalement le camp de Jean Yves Dibopieu, qui se réclame de Laurent Gbagbo, qui prend le dessus. Sous sa direction, la Fesci deviendra une sorte de milice étudiante à la solde du FPI pendant les années de crise, de 2002 à 2011. Plusieurs de ses dirigeants connaissent un destin politique national : surnommé « le général de la rue », Charles Blé Goudé devient le ministre de la jeunesse de Gbagbo, tandis que Guillaume Soro, son prédécesseur à la tête du syndicat, prend la tête d'une rébellion contre le pouvoir en 2002 et deviendra à la fin de celle-ci premier ministre puis, quelques années plus tard, président de l'Assemblée nationale, avant de se brouiller avec le président actuel Alassane Ouattara et de vivre aujourd'hui loin de la Côte d'Ivoire.

« Ce mouvement fonctionne comme une mafia »
« On m'avait dit que c'était un mouvement de camaraderie au sein duquel on aurait un minimum de sécurité durant notre cursus universitaire, se souvient un ancien membre, aujourd'hui le professeur cité plus haut. Au fil des années, on a compris que ce mouvement fonctionnait comme une mafia, avec des clans, du népotisme et de la méchanceté inutile. » En 2008, le terme de « mafieux » sera également employé par l'ONG Human Rights Watch pour qualifier les actes de la Fesci.

En 2011, après l'arrestation de Laurent Gbagbo, la Fesci appelle ses membres à déposer les armes et à participer à « la réconciliation et la reconstruction » prônée par le président Ouattara. Mais elle ne meurt pas. « On ne les voyait plus, mais certains au RDR [le Rassemblement des républicains, ancêtre du RHDP, le parti aujourd'hui au pouvoir] ont estimé qu'il fallait les récupérer, explique un universitaire. Si le pouvoir n'a pas dissous ces organisations, c'est qu'il a intérêt à ce qu'elles soient là. »

Ces critiques surprennent « Makélélé », qui assure qu'aujourd'hui la Fesci est politiquement « orpheline » et n'a plus de financements. « Il faut que la Fesci soit considérée comme un acteur de la vie universitaire et qu'elle soit subventionnée. Nous ne sommes pas une organisation clandestine », poursuit-il, assurant que certains membres du gouvernement sont des « amis » mais pas des « parrains ».

Plusieurs hommes politiques avaient espéré sa dissolution, qui a régulièrement été agitée par le pouvoir. Mais pour certains, l'absence d'un syndicat fort serait un recul pour les droits des étudiants. « Il faut juste que la Fesci se civilise, qu'elle apprenne à accepter la contradiction et qu'elle s'éloigne des violences gratuites », estime le professeur anonyme.

Dès le retour des congés de Pâques, la Fesci compte une nouvelle fois mener « des actions de revendication » contre certaines mesures de l'administration universitaire. Ces grèves sont traditionnellement marquées par les descentes des « Fescistes » dans les universités et les lycées, où les cours et les examens sont arrêtés net. « Tout le monde sait que je suis loin de la violence, mais j'ai la force, assure « Makélélé ». Quand je décide que les écoles sont fermées, c'est fermé. »

Youenn Gourlay (Abidjan, correspondance) et Marine Jeannin (Abidjan, correspondance)
source : lemonde.fr

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