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L'ONG Mighty Earth dénonce dans un rapport les effets néfastes de la culture de l'anacarde sur l'environnement du pays, premier producteur mondial.
Introduite en Afrique de l'Ouest dans les années 1960 pour lutter contre la désertification des régions arides, la culture de l'anacarde serait aujourd'hui un danger pour l'environnement et la biodiversité de la Côte d'Ivoire, premier producteur mondial de noix de cajou, selon le rapport de l'ONG spécialisée dans la protection de l'environnement, Mighty Earth, paru le 8 novembre.
En raison d'une très forte demande mondiale de cette noix, décrite comme un superaliment bon pour la santé, la culture de l'anacarde a connu un essor spectaculaire ces vingt dernières années, notamment en Côte d'Ivoire. Dans ce pays, la production est ainsi passée de 100 000 tonnes en 2002 à plus de 1,2 million de tonnes en 2022.
L'ONG, aidée par les organisations Regroupement des acteurs ivoiriens des droits humains (Raidh) et Green Forest Africa, explique que l'Etat ivoirien et le secteur privé ont encouragé le développement de cette culture, à tel point qu'elle occupe aujourd'hui « une superficie presque équivalente à celle de l'archipel d'Hawaï, soit 1,6 million d'hectares ».
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Selon ce rapport intitulé « Le casse-tête de l'anacarde », cette agriculture extensive, qui s'apparente à de la « monoculture », « modifie profondément des zones précieuses de forêt de savane sèche de la région, comme l'a fait la cacaoculture pour les forêts tropicales humides du sud du pays ». Le cacao est l'une des principales causes de la forte déforestation en Côte d'Ivoire, qui a perdu 90 % de ses forêts en un demi-siècle.
Le rapport explique, carte satellite à l'appui, que l'anacardier accélère lui aussi la déforestation. Il s'étend aujourd'hui à l'est, à l'ouest et même vers le sud, en raison de l'assèchement des terres autrefois humides du centre-sud du pays. Selon l'ONG, certaines régions productrices de noix de cajou en Côte d'Ivoire ont connu une perte de 25 % de leur couvert de forêt primaire entre 2019 et 2023.
« Réduction sévère de la surface forestière »
Sa rentabilité et le travail peu difficile qu'elle demande font de l'anacarde une culture intéressante pour les agriculteurs qui, « au cours des trente dernières années, se sont mis à planter densément leurs exploitations. Avec l'augmentation de la demande en terres pour la culture des noix de cajou, les agriculteurs ont commencé à empiéter sur les zones de végétation indigène non cultivées. Cette tendance s'est accélérée au cours des années 2000 et ne semble guère vouloir ralentir », s'inquiète l'ONG.
Le rapport rappelle également les travaux d'autres chercheurs, comme ceux de Cathy Watson, du Centre pour la recherche forestière internationale et l'agroforesterie mondiale (Cifor-Icraf), qui considérait en 2021 que ces destructions de forêt étaient une « erreur répétée », après les ravages du cacao. Il s'appuie aussi sur les recherches d'universitaires ivoiriens qui s'inquiétaient des feux de brousse utilisés pour défricher les terres pour cette culture, menaçant les « forêts basses » du parc national de la Comoé, dans le nord-est ivoirien. Des activités qui pourraient selon eux « conduire à une réduction sévère de la surface forestière et à une perte de biodiversité ».
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Car, selon Mighty Earth, les composés chimiques de l'arbre empêcheraient le développement de nombreuses plantes autour de lui et la disparition d'espèces animales. « Nous avons demandé qu'ils nous apportent des analyses de laboratoire qui le prouvent, nous attendons des réponses », répond Adama Coulibaly, le directeur général du Conseil du coton et de l'anacarde (CCA), très critique de ce rapport.
Ce phénomène, conjugué à l'utilisation de pesticides, ferait de ces régions des « déserts verts », exclusivement composés d'anacardiers. « Cette étude est partie d'un constat empirique : que tout l'environnement était en train d'être modifié, relate Amourlaye Touré, coauteur du rapport avec Thea Parson. Quand j'étais jeune, dans le nord de la Côte d'Ivoire dont je suis originaire, il y avait une végétation luxuriante, variée, des arbres endémiques. Mais j'ai vu au fil des ans que tout l'environnement naturel était en train d'être modifié, que certaines espèces d'oiseaux, les végétaux et les fruits que je consommais avaient disparu. A la place, de part et d'autre, il n'y avait que de l'anacarde. »
« Une arme à double tranchant »
Dans la région de Bondoukou, dans le nord-est du pays, où les anacardiers poussent à perte de vue, Fonibé Sékongo, directeur de la coopérative Coopabo, explique qu'aujourd'hui les populations se battent pour obtenir des terres supplémentaires afin de faire pousser des anacardiers, alors que la filière assure que les agriculteurs ne peuvent planter plus de trois hectares par an.
« On est contre l'augmentation des superficies. Mais les planteurs rasent leurs champs de maïs ou d'igname pour l'anacarde », constate-t-il, conscient du danger pour la sécurité alimentaire de ces agriculteurs. « Si un jour l'anacarde est attaqué par un champignon ou un insecte, les familles vont en pâtir », poursuit celui qui assure que la culture a changé le quotidien de nombreux habitants de la région. En Côte d'Ivoire, la noix de cajou fait vivre aujourd'hui un demi-million de ménages.
Les critiques de Mighty Earth sont difficiles à entendre au sein de la filière anacarde, tant cette culture a permis au pays de s'enrichir, aux industries de croître et à de nombreux agriculteurs d'améliorer leurs conditions de vie. « Ça n'a rien à voir avec la réalité du terrain. Il n'y a que des méchancetés dans ce rapport, des affirmations graves, sans aucune preuve. La démarche de Mighty Earth est idéologique et je ne sais pas au service de qui », tonne Adama Coulibaly.
« La culture de l'anacarde s'est avérée être une arme à double tranchant pour la Côte d'Ivoire », résume Julian Oram, directeur Afrique de Mighty Earth. Si elle est une source importante de revenus dans le nord du pays, elle continue de s'étendre « de manière incontrôlée sur les quelques rares zones de végétation naturelle restantes ». Selon lui, à ce rythme-là, « la noix de cajou pourrait être un nouveau clou dans le cercueil de dizaines d'espèces emblématiques, y compris le chimpanzé d'Afrique de l'Ouest ».
Autre danger pointé dans ce rapport, les risques encourus par ceux, principalement des femmes en Côte d'Ivoire, qui décortiquent les noix. Photo et témoignage d'une décortiqueuse à l'appui, Mighty Earth assure que toutes les femmes ne bénéficient pas de protections suffisantes pour ce travail dangereux pour la peau, du fait de l'acide caustique contenu dans la noix, pouvant provoquer lésions et brûlures. Là encore, le directeur général du CCA conteste, assurant que, mis à part les travailleuses artisanales, toutes les décortiqueuses sont aujourd'hui protégées dans les entreprises de transformation.
En conclusion, les auteurs du rapport appellent les acteurs de cette industrie à « cesser toute expansion afin de permettre à la nature de se rétablir. Nous devons veiller à ce que les producteurs de noix de cajou bénéficient d'un soutien pour passer à des pratiques durables afin de préserver leurs moyens de subsistance et protéger la nature ». L'ONG demande également aux pays occidentaux de mettre en place des mesures afin d'interdire la vente de noix de cajou liée à la déforestation.
Youenn Gourlay(Abidjan, correspondance)
source : lemonde.fr